Un Haitien digne d'eloges est enterre a Brazzaville

Après l'indépendance du Congo belge ( ZAIRE ), un contingent d'enseignants haitiens fut recruté par l'UNESCO et disséminé dans les différentes écoles du pays....Dans un émouvant compte-rendu expédié aux parents absents, un compatriote relate les funérailles d'un missionnaire haitien. : 

Le 10 mai 1965, après avoir vainement essayé, de Brazzaville, d'entrer en contact par téléphone avec Léopoldville,le docteur Joseph Léspérance s'est décidé à traverser le fleuve qui sépare les deux capitales pour nous apporter la nouvelle la plus inattendue: le Père Alix Francoeur, professeur au Séminaire de M'bamu depuis une quinzaine d'années, venait de mourir après une très courte indisposition.

Le funèbre message plongea la colonie haitienne de Léopoldville dans une affreuse consternation personne ne s'attendait à voir s'en aller, en pleine vigueur physique, ce compatriote côté très haut dans l'estime de tous. 

Par suite d'une longue série de conflits politiques entre les dirigeants des deux capitales, il n'était pas dutout aisé de se rendre d'une rive à l'autre en vue d'assister aux funérailles. L'esprit de solidarité aidant, les frères Faublas (Lélio et Jean ) aidés de Louis Noizin, se multiplièrent auprès des autorités pour l'obtention d'un laisser-passer collectif en faveur des membres de la colonie haitienne. Leurs démarches rencontrèrent la compréhension des autorités de Léopoldville au point que des formalités qui, souvent durent toute une semaine, purent être accomplies en quelques heures. Et c'est ainsi que les Haitiens dont les noms suivent purent débarquer à Brazzaville, deux heures avant les funérailles. 

C'étaient : Monsieur et Madame Gérard M. Alerte, Monsieur Jules Arbutnott, Monsieur Eric Balmir, Monsieur Régnor C. Bernard, Monsieur Gérard Coradin, Monsieur Philoclès Darius, Monsieur Grégoire Dauphin, Monsieur et Madame Jacques Désinor, Monsieur Gérard Dussek , Monsieur et Madame Jean Duviella, Monsieur et Madame Lélio Faublas, Monsieur Jean Faublas, Monsieur Gérald Faublas, Madame Paulette Grandoit, Monsieur et Madame Enose Jean-Louis, Monsieur et Madame Hubert Lacroix, Monsieur Edner Lespérance, Mademoiselle Suzèle Limage, Madame Marceau Louis, Monsieur Jean-Charles Milord, Monsieur Ducis Mirville, Monsieur Louis Noizin, Monsieur Grévy Pierre-Louis, Monsieur et Madame Ernest Roy, Mademoiselle Laura Scott, Monsieur Maurice A. Sixto, Monsieur et Madame Edner Toussaint.

Au débarcadère de Brazaville oû nous arrivâmes une demie heure plus tard, les autorités du port, instruites des raisons de l'arrivée de cette délégation, furent compatissantes à notre douleur et pour montrer jusqu'à quel point elles y étaient associées, nous facilitèrent bien vite l'entrée de la ville.
Quelques minutes plus tard, nous atteignimes la maison mortuaires ou une foule nombreuse et silencieuse débordait sur la cour. Par une délicate attention des confrères d'Alix, on attendait notre arrivée avant de procéder à l'émouvante cérémonie de la mise en bière.

Celui que notre affection avait continué d'appeler simplement Alix , en souvenir du gosse que nous avions connu, en 1930, à la rue Réunion à Port- au-Prince, alors que nous partagions les jeux de ses frères aînés, était là, étendu devant nous, inerte sur son lit mortuaire, mais nous refusions de croire à la tragique réalité.

I1 se préparait, comme nous le savions à rentrer définitivement au pays après un fructueux apostolat en Afrlque où pendant quinze ans, par la prédication, par l'enseignement et surtout par l'exemple il a contribué à la formation d'une élite d'intellectuels et de chrétiens. I1 avait pris toutes ses dispositions pour venir revoir, le 6 juin prochain ses compatriotes et amis de Léopoldville avant de s'envoler le lendemain 7 juin vers Haiti avec l'espoir d'être présent lorsqu'un jour il faudra fermer les yeux à sa chère vieille maman, après lui avoir administré les sacrements de notre sainte Mère l'Eglise. Il n'etait pas dit, hélas, qu'il dût revoir sur cette terre sa maman de chair!... 

Nous , ses amis de Léopoldville , à son prochain et court passage parmi nous, nous lui aurions fait une belle fête, car dans la carlingue de l'oiseau d'acier, il allait emporter avec lui, en même temps que ses souvenirs d'Afrique notre frais bouquet d'affection pour tous ceux qui nous sont chers et auxquels nous demeurons attaches, par dela le temps et la distance. Mais son Seigneur, notre Maître à tous, en avait décldé autrement. Les desseins de Dieu sont impénétrables et souvent c'est folie de notre part que de vouloir sonder l'insondable. I1 nous a semblé toutefois que cette mort, survenue à la veille même d'un départ, revêtait une profonde signification mystique: Alix, missionnaire selon le coeur de Dieu, après avoir moissonné avec ardeur dans le champ apostolique de l'Afrique, n'appartenait plus au sol natal. Son holocauste n'aurait pas été total si, pour une simple satisfaction à sa famille, sa dépouille mortelle ne reposait en terre africalne, au milieu de celles de tant d'autres missionnaires chrétiens qui, comme lui, y ont fait le sacrifice de leur vie. Ou bien, cette mort inattendue, ne serait-ce une grâce spéciale accordée à Alix qui, dans l'élan de sa foi et la flamme de son zèle a dû, au cours d'une de ces longues minutes de silence qui permettent parfois de joindre la terre au ciel, demander au Seigneur la faveur de mourir en terre de Mission Cette demande à été produite, longtemps, longtemps déjà. Si longtemps que lui-même Alix n'a pas dû s'en souvenir. Mais le Seigneur pour qui'ne compte ni le temps, ni la distance, le Seigneur s'était toujours souvenu de l'offre généreuse faite par le futur missionnaire, à l'heure où son âme se pénétrait suavement de l'onction de la grâce et que bouillonnait en ses veines l'impétuosité de ses vingt ans. Le Seigneur s'en est souvenu et i1 a couvert son humble serviteur de son souffle puissant.. Alix, éxaucé à la toute dernière minute, allait pouvoir par la grâce de son Dieu, dormir son dernier sommeil parmi les ouailles qu'il a évangélisées et qu'il a tant aimées, à l'ombre de ces clochers où sa voix si souvent, s'est mêlée aux mélodies de son peuple.

Revêtu de sa chasuble violette, le front altier, la tête auréolée d'une calvitie précoce ceinturée de quelques cheveux poivre et sel, les mains pieusement jointes sur son coeur, Alix dormait le sommeil du bon combat, avec un sourire tout de compassion au coin de ses lèvres, prètes a s'ouvrir, dirait-on, pour prononcer les paroles rituelles que tant de fois, chaque matin répétait en montant à l'autel du Seigneur. Mais, ce Jour-là, avec nos yeux de la foi, il nous a semblé que son regard portait plus haut, beaucoup plus haut et que, pélerin de la terre, il entreprenait la marche finale vers la gloire éternelle. Le missionnaire, enfin remis de ses fatigues apostoliques, s'en allait vers ces lieux mystiques où l'ont déja précédé nombre de ses convertis. Et c'est là, sans aucun doute, l'explication de cette incroyable sérénité dont s'était paré le front de notre cher Alix. 

Passé de vie à trépas après une courte indisposition, sans avoir connu une journée entière de maladie , le visage d'Alix nous paraissait tout aussi naturel que lorsque nous l'avions revu, il y a un peu plus de deux ans, après tant d'années d'absence, au cours des inoubliables agapes de l'Amitié offertes en son honneur, à Brazzaville. par les docteurs Ford et Lespérance et auxquelles était conviée presque toute la colonie haïtienne de Léopoldville. I1 nous paraissait tout aussi naturel que lorsque, dans la suite nous l'avions reçu chez nous, à Léopoldville, dans l'intimité familiale, évoquant des souvenirs communs, se penchant avec attendrissement sur les photos de notre album où il avait reconnu celles de Marie-Alix et Monique Francoeur, ses chères petites nièces. 

Si notre pauvre Madame Francoeur dont nous avons porté, en ces minutes d'affliction, toute l'immense douleur, si beaucoup de parents se trouvent dans la tristesse sous notre ciel d'Haiti, regrettant de n'avoir pu assister aux funérailles d'Alix, ils devraient se consoler un peu à la pensée de cette famille haitienne (l'expression est d'un misionnaire) entourant le lit mortuaire. A la pensée de tous ces confrères dans le sacerdoce, tous ces religieux toutes ces religieuses parmi lesquelles se détachait la vénérable physionomie d'une Haitienne comptant vingt années d'Afrique, de la foule immense accourue de toutes parts pour les funérailles. - qui furent une véritable apothéose- du prêtre haitien Alix Francoeur 
Nul ne saurait décrire dans sa douloureuse beauté le spectacle haut en couleurs dont nous avons été tous.. les témoins émus. Le cérémonial prévoyait, une heure avant le service funèbre, les formalités de la mise en bière, préface de la descente au tombeau. 
Le drap qui tout à l'heure servait de tenture sur la grande table où reposait Alix est ramené sur son corps, en forme de linceul afin de faciliter son déplacement vers le grand cercueuil de chène dissimulé jusque là dans un coin de la salle. Les confrères d'Alix, d'une voix grave, chantaient le chant de l'accueil tout en accomplissant leur pénible devoir de rendre à la terre ce qui appartient à la terre. Mais ce chant rappelait aussi que les bons ne meurent pas. ("Venez à ses devants, élus de Dieu; venez à sa rencontre, anges du Seigneur. Accueillez son âme et présentez-là devant le Très-Haut 

Que le Christ te reçoive, lui qui t'a appelé, et que les anges te conduisent dans les bras de notre père Abraham! Accueillez son âme et présentez-la devant le Trés-Haut.- Donnez lui, Seigneur le repos éternel; Faites briller sur lui votre lumière sans fin. Présentez son âme devant le très-Haut. 

Nous avons senti, alors plutôt qu'auparavant, pourquoi l'Eglise recommande d'honorer affectueusement le corps du défunt. Le corps d'Alix uni à son âme qui 1'a précédé devant Dieu, la rejoindra définitivement au Jour de la résurrection éternelle. 

Nous pensions à tout cela, à travers nos sanglots, nos prières, nos protestations et nos révoltes intérieures vite réprimées par nos sentiments chrétiens tandis qu'une chorale africaine, chantait en langue du pays, des airs de circonstance, incompréhensibles à nos oreilles mais infiniment éloquents pour tous ceux qui voient cette mort sous l'angle de la foi. La chorale chantait au rythme du "ngongi", cloche de fer à deux battants rappelant de très près "l'ogan" des orchestres rustiques d'Haïti. 

Le cercueil porté à bras est déposé ensuite sur un catafalque dans la çour même du presbytère afin de permettre à l'immense foule de rendre hommage une dernière fois, avant la procession vers l'église, au missionnaire Alix Francoeur. Les cloches vibrent dans l'air tandis que la foule grossit de plus en plus autour du catafalque surchargé de gerbes et de couronnes d'où tranche celle offerte par les amis haitiens. Bientôt ce sera la levée du corps.
Autour du cercueil la foule entonne d'un seul coeur et d'une seule âme voilée d'émotion "Plus prés de toi, mon Dieu" puis "Ce n'est qu'un aurevoir". Le prêtre asperge d'eau bénite le cercueil que les haïtiens, émus Jusqu'aux larmes, se disputent l'honneur de porter à bras. Un français s'approche du groupe et demande la faveur de porter le cercuell, lui aussi, car, dira-t-il, en pleurant: "C'est mon ami". Le maître de cérémonie avait dit : la croix, le clergé, les soeurs, le cercueil, "La famille haïtienne", puis la foule. 

Mais il s'avéra impossible de respecter cet ordonnancement, chacun voulait être le plus prés possible, du père, du frère, de l'ami qui s'en allait. Derrière le cercueil, un haïtien qui par sa calvitie , et ses cheveux grisonnants , présente un air de famille avec le Père Francoeur, est souvent désigné du doigt. Parfois, il est arrêté par des congolais désireux de présenter leurs condoléances à un proche parent du défunt. 

L'immense église est comble. La messe d'enterrement présidée par l'Evêque de Brazzaville va commencer. Remous dans la foule : les membres de la délégation haitienne de Léopoldville le regard chargé de douleur et de regret dolvent quitter l'église afin de regagner l'autre rive avant six heures du soir pour respecter les dispositions des sévices de la Sûreté congolaise. 

Dehors, il pleut drû sur une foule immense qui se multiplie à mesure que sonnent les cloches. 

On entonne le "Kyrié" de l'Office funèbre A l'autel,le célébrant assisté de diacres, de sous-diacres et d'acolytes, invite l'assistance à entonner le "Gloria". Il a la voix altérée par l'émotion. C'est le Supérieur du Séminaire de M'bamu, petit village perdu dans la brousse congolaise oû Alix a formé pendant près de 15 ans toute une génération d'intellectuels. 

Au premier banc, coupant l'harmonie du chant, un homme éclate en sanglots. Il avait déJà pleuré pendant qu'on transportait le cercueil à l'église. Et maintenant il ne peut plus surmonter sa douleur. Il éclate a la pensée de se séparer pour toujours de son ami, le Père Francoeur. C'est un français' de petite taille, au visage émacié creusé par des souffrances autrefois cruelles et qui avalt pris l'habitude, certains dimanches, de sortir Alix de son austère solitude de M'bamu, de le convier chez lui, pour prendre un verre et discuter un peu en compagnie de plusieurs amis brazzavillois. Explosion ultime de l'amitié sincère a 1'heure d'un dernier rendez-vous. 

Et la cérémonie des funérailles, entrecoupée de chants plaintifs et de prières touchantes, s'étire, solennelle et mystérieuse comme une trève mélancolique. 

Au moment de la communion, plusieurs catholiques s'approchent pour prendre part au banquet divin pendant que la chorale congolaise rythme en lingala une prière d'adieu sur un ton funèbre. Puis, les confrères d'Alix psalmodient quelques hymnes en latin ou en français. 
Dehors, il pleut toujours par à-coups de plus en plus espacés. On dirait que les officiants, pour prolonger cette dernière halte, font traîner leurs chants et leurs gestes afin que ne s'achève point la cérémonie dans cette vieille église où, pendant de nombreuses années, ce spiritain haitien aujourd'hui inerte, venait tant de fois officier . 

Enfin l'Ite Misa est".suivit d'un silence froid tandis que Monseigneur Mbemba drapé dans ses ornements pontificaux, crosse en main, le front ceint d'un mître blanc, vient se tenir, grave et solennel, auprès du catafalque sur lequel veille comme une flamme du souvenir et un signe de ralliement, le drapeau bicolore surmonté des armoiries d'Haiti, habilement reproduites par les doigts d'une soeur haitienne en apostolat à Brazzaville depuis de longues années. 

L'Evêque accomplit, visiblement ému, les rites d'aspersion, d'encensement. Prières et bénédictions. Puis, une courte pause emplie de silence. Le "Libera" éclate de partout, sous les voûtes comme à l'extérieur du lieu saint : "Délivrez-moi, Seigneur, de la mort éternelle, au jour redoutable du jugement, lorsque cieux et terre seront ébranlés, lorsque vous viendrez juger le monde par le feu.. 

Dans cette assemblée pieusement inclinee autour d'Alix, les sanglots montent, des femmes pleurent et des hommes cachent leur front dans leurs mains pour pleurer à chaudes larmes. L'émotion nous gagne tous, de proche en proche, montrant un bel exemple de la solidarité des hommes dans la peine, 

Qu'aurait-il ressenti en ce moment suprême, notre cher Alix, lui qui savait accueillir si intensément le plus petit geste d'amitié ou de sympathie ? Bien que nos coeurs soient mutilés d'une, peine atroce, que vaudraient nos sentiments à côté des siens ? 
Personne ne chante plus. Le cortège funèbre s'est reformé. Précédé de la croix, d'un imposant groupe de religieux et de plusieurs petits congolais portant des fleurs. Le cercueil est suivi d'une nombreuse foule où se remarquent plusieurs haïtiens habitant Brazzaville ou de passage inopiné dans la ville : l'Ingénleur Lovelace et Madame, l'Agronome Claude Préval, les Docteurs Emmanuel Ford et Joseph Lespérance ainsi que plusieurs Jeunes compatriotes lnternes aux pensionnats de Brazzaville. 
La dépouille mortelle est déposée devant la fosse béante creusée à quelques mètres du flanc droit de l'église. Aspersion, encensement, prières' mettent fin à la cérémonie tandis que la nature s'enveloppe du linceul noir de la nuit. Le cercueil glisse lentement entre les parois humides du tombeau, puis il s'ensevelit sous les pelletees de terre après qu 'on ait eu soin de placer Juste au dessus du coeur d'Alix, le drapeau haïtien qui lui rappellera, en son éternité bienheureuse, sa chère famille, tous ceux qui l'ont connu et aimé, et le peuple d'Haiti. 

Jacques Désinor.

2 commentaires:

  1. Merci Mr Jacques Desinor pour ce beau commentaire au sujet du pretre Alix Francoeur (mon oncle) Que son ame repose en paix

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