La Première république Noire

Claude et Marcel Bonaparte Auguste ont apporté une large contribution à l'Histoire d'Haïti par leur ouvrage «Les Déportés de St-Domingue»

Robert Cornevin à préfacé ce livre. Pour bien vous faire comprendre l'Histoire de notre indépendance, nous vous présentons cette préface.


Saint-Domingue 
avant la Révolution

Ancienne possession espagnole, devenue française en 1680, Saint-Domingue doit sa prospérité au sucre et au café. À la veille de la Révolution, le chiffre d'affaires des Colonies Françaises s'élevait à 600 millions de francs dont les 2/3 (400 millions) concernaient Saint-Domingue.

8 500 habitations couvrant quelque 500 000 hectares, 30 000 blancs, autant d'hommes de couleur libres tiraient profit d'une situation sociale où 400 000 esclaves assurant le travail n'avaient aucune part à la prospérité.

Lors de la Révolution française, les idées généreuses véhiculées par les Encyclopédistes et la Société des Amis des Noirs se heurtent à l'insolente morgue des Grands Blancs. Les 400 000 esclaves ne représentent qu'une menace potentielle et les quelques centaines de marrons qui demeurent dans les mornes d'accès difficile sont considérés comme des rebelles sans véritable poids politique.

Les hommes de couleur libres et les noirs affranchis sont par contre plusieurs dizaines de milliers d'actifs et entreprenants planteurs et commerçants; face aux planteurs blancs paresseux et imbus de leur préjugés de castes ils sont mieux armés contre le climat. Ils travaillent, lisent et se cultivent.

Lors de la Révolution, les colons blancs profitent d'un certain désordre pour élire une assemblée, à Saint-Marc, qui s'oppose au gouverneur, à la métropole, légifère en toute indépendance et ouvre St-Domingue au commerce étranger. C'est une véritable dissidence et la Constituante décide la dissolution de cette assemblée.

Rupture entre colons blancs et hommes de couleurs

Cependant le 8 mars 1790, la Constituante accordait aux hommes de couleur le droit de participer avec les propriétaires blancs à la formation des assemblées promaires. Un quarteron, Ogé, aidé d'un camarade d'enfance Chavannes, apprend en France cette mesure.. Ils s'embarquent pour Saint-Domingue afin d'exiger l'application de la loi. Ils rassemblent quatre cents partisants armés, mais sont rapidement dispersés par les troupes du colonel Cambefort. Les survivants se réfugient dans la partie espagnole de l'île. Extradés, livrés aux autorités du Cap, ils sont jugés par le Conseil supérieur. Condamnés à mort, au supplice de la roue, ils sont amenés sur le lieu de l'exécution en chemise, la corde au cou, pieds nus. Cette effroyable mise en scène axacerbe les passions. Les hommes de couleur libres vont alors s'opposer aux colons blancs.

L'insurrection des esclaves du nord

Dans ce climat de tension les esclaves ne restent pas inactifs. Quelques dizaines d'entre eux, disposant d'une certaine instrction et de facilités personnellles, décident de passer à l'action. Le 16 août 1791 a lieu la fameuse cérémonie du Bois Caïman rassemblant sous l'autorité de Boukman les responsbles Vaudou. Les esclaves, groupés en ateiers sur les plantations, sont habitués à travailler ensemble.Le Vadou correspond à une solidarité religieuse. C'est alors, le 21 août, l'insurrection des esclaves du nord.
«En quatre jours les esclaves armés de piques et de torches convertissent en un immense brasier les plaines du nord de Saint-Domingue. Deux cents sucreries et dix-huit cents caféteries sont la proie des flammes. Un millier de blancs réputés tortionnaires sont égorgés...»

Outre Boukman, les chefs des insurgés sont Jean-François Jeannot, Biassou. C'est en novembre que Toussaint Louverture se rallie au mouvement insurrectionnel.

Sonthomax, la trahison des planteurs blancs et l'abolition de l'esclavage

Cependant l'assemblée législative a envoyé trois commissaires: Sonthonax, Polverel et Aillaud, chargés de faire appliquer la loi du 4 avril 1792 accordant aux affranchis les mêmes droits civils et politiques qu'aux blancs.

Leurs instrctions étaient par ailleurs nettes :«sauver les habitations en écrsant les noirs en révolte depuis août 1791, réorganiser le travail et maintenir le régime esclavagiste.» 14 000 soldats les accompagnaient. Ils espéraient pouvoir compter sur les hommes de couleur... et sur les planteurs blancs.

Sonthonax commence à lutter contre les esclaves insurgés, renforce les châtiments corporels et remet en vigueur le code noir (5 mai 1793). Mais ces mesures sont insuffisantes. les colons sont inquiets. la guerre est là qui permet à l'Espagne une action sur les frontières de la Colonie.

Dans le remarquable article d'Homme et destins consacré à Aonthonax, Gérard M.Laurent décrit cette manoeuvre.

La tactique espagnole, très efficiente au début, dévoile une double facette.Afin d'accroître la crise économique, une active propagande travailla à dégarnir les habitations coloniales françaises par la désertion des esclaves. ceux-ci à l'instigation des émissaires espagnol fuyaient les plantations, se faisaient marrons. La politique de conquête espagnole, d'autre part, était axée sur l'enrôlement massif de ces esclaves fugitifs qui composeront le gros de ses armées. En récompense ou en compensation, ces noirs obtenaient leur liberté, bénéficiaient de promotion dans l,armée et jouissaient d'exemptions.

C'est là que Toussaint Louverture fait ses premières armes. À la tête d'une troupe qu'il organise et discipline, il prend le Dondon, Ennery, les Gonaïves. Pour ce fait d'armes il reçoit une épée d'honneur et le titre de lieutenent général des armées du Roi d'Espagne.
C'est semble-t-il la manoeuvre espagnole qui décide Sonthonax et Polverel à proclamer le 29 août 1793 l'abolition de l'esclavage. Mais cette mesure entrîne la trhison des planteurs blancs. ceux-ci, souvent royalistes boulversés par l'exécution de Louis XVI, fascinés par l'ordre qui règne dans les colonies anglaises voisines, envoient une délégation au gouvernement de la Jamaïque.

«N'ayant pas la possibilité de recourir à leur légitime souverain pour les délivrer du joug qui les opprimait, ils invoquaient la protection de Sa Majesté britanique et lui prêtaient serment». Les planteurs blancs livrent aux Anglais les ports et les villes de Jérémie et du môle Saint Nicolas, alors que des factions de citoyens de couleur livrent les villes de Saint-Marc, de l'Arcahaie et de Port-au-Prince.

cependant les troupes noires organisées par Sonthonax se battaient médiocrement et lorsque le commissaire rentre en France à la fin de sa première mission la situation est encore dramatique.

Toussaint couverture

Le 4 février 1794 la Convention a voté l'abolition de l,esclavage et accueilli les représentants de St-Domingue: Mils (un blanc), Dufay (un mulâtre) et Jean-Baptiste Belley dit Mars, noir, ancêtre du Dr Jean Price-Mars.

Cette décision historique ramène dans le camp français Toussaint Louverture tout auréolé du prestige de ses victoires espagnoles. Il offre sonépée au général Laveaux, alors Gouverneur intérimaire de la partie française de Saint-Domingue. En quelques semaines Toussaint remet sous l'autorité française une partie de l'île. Il écrase les forces espagnoles à St-Nichel et St-Raphaël. Il occupe le Mirebalais et Lascahobas. En octobre 1795 le Directoire nomme Toussaint général de Brigade dans l'armée française. Il sera promu général de Division en 1797. Il libère St-Domingue au nom de la France. Les Anglais doivent évacuer Port-au-Prince, l'Arcahaie, saint-marc, Jérémie.
Le 31 août 1798, au môle Saint Nicolas, le général Maitland lui remat la ville. Le traité de paix séparée signé à cette date entre le représentant de l'Angleterre alors en guerre avec la France et le général Toussaint Louverture est comme l'a souligné Aimé Césaire le premier acte d'indépendance d'Haïti.

Ce n'est pas tout à fait aussi net puisque lorsque le traité fut ratifié le 9 janvier 1799 par le gouvernement britanique, Roume, représentant du gouvernement français, donne sa sanction. Au demeurant après ces années de troubles, tous étaient d'accord pour que le rétablissement du commerce avec les États-Unis comme avec l'Angleterre ramène la prospérité.

La partie espagnole d'ailleurs cédée à la France par le traité de Bâle en 1795 est conquise (janvier 1801). Toussaint fait alors régner l'ordre et la prospérité sur l'île entière.
Le 8 juillet 1801 il promulgue une contitution de Saint-Domingue qui en fait une véritable colomie autonome et dont le gouverneur à vie est Toussaint Louverture, général en chef de l'armée. L'ultime pas est franchi.

La paix d'Amiens permet à Bonaparte d'envoyer un corps expéditionnaire de 25 000 hommes sous les ordres de son beau-frère le général Leclerc, mari de Pauline Bonaparte. cette flotte arrive devant le Cap en Janvier 1802. Toussaint se décida pour la résistance. Mais au bout de quelques mois, ildoit conclure en mai 1802 une convention de paix et d'amnistie.

C'est durant cette brève campagne que des personnalités sont appréhendées.
Invité par le général Brunet à venir lui rendre visite aux Gonaïves le 7 juin 1802, Toussaint est arrêté au mépris des engagements; il est transféré en France.

En même temps plusieurs dizaines de personnalités, partisans ou non de Toussaint, sont envoyées en Europe.

Vers l'indépendance d'Haïti

C'est l'époque où l'esclavage est rétabli. mais la fièvre jaune a déjà fait des ravages dans le corps expéditionnaire.

La situation des forces françaises à Saint-Domingue ne cesse d'empirer. En octobre 1802 la réconciliation de Pétion et dessalines précipite le désastre des troupes françaises. les chefs de l,armée indigène remplacent le nom de Saint-Domingue par le nom Caraïbe d'Haïti qui signifie terre boisée et montagneuse. Le 18 mai 1803 le drapeau haïtien naît à l'Arcahaie (on enlève le blanc du tricolore français : le bleu représente les noirs et le rouge les mulâtres).

Commandés par Rochambeau les troupes françaises doivent finalement capituler le 19 novembre 1803 à Vertières. Dix jours plus tard, le 29 novembre, c'est la proclamation de l'indépendance, confirmée le 1er janvier 1804 sur la place d'armes de la ville des Gonaïves...

Bourg-la-Reine, le 2 septembre 1978
Robert CORNEVIN
Secrétaire perpétuel de l'Académie des Sciences d'Outre-mer.
Président de l'ADELF (Association des Écrivains de Langue Française).
1er Janvier 1804

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